Pratique de la Voie du Taiji Quan

Art martial interne des Wu Shu traditionnels chinois

Tuishou avec Ding Dahong  et Jean-Jacques GalinierIl existe une pluralité d’écoles qui propose de nombreuses façons d’aborder cet art de vie, de santé et de pratiques martiales.

Bien que cette discipline se définisse comme une application de la théorie du Taiji, qui unifie et harmonise les aspects Yin et Yang par un principe d’ordre inhérent à la nature, il y a beaucoup d’enseignants qui l’abordent et la transmettent à travers une codification de mouvements complexifiés par un point de vue intellectuel et bien trop souvent éloigné des applications pratiques dans le domaine de la santé par exemple, comme dans celui des applications martiales, ces deux applications étant corrélées à la force naturelle pour être vivant.

Les mouvements apparaissent souvent ainsi figés dans une forme, conformes à la subjectivité de tel ou tel professeur. Ces mouvements sont alors vécus à partir d’une approche mentale et bien souvent anti naturelle, non applicable dans le champ de la martialité. Par exemple ils ne permettent pas de réaliser les connexions nécessaires entre toutes les articulations du corps pour pouvoir être utilisable directement dans les « poussées de mains » ou Tui Shou 推手.

Chen Xin (1849-1929) faisait partie de la 16ème génération de la famille Chen de Taijiquan (une génération avant celle du célèbre Chen Fake) nous laisse un témoignage et des explications sur les principes qui régissent cette discipline, à travers un de ses livres « Chen shi Taiji Quan Tu shuo 陈式太极拳图说 » Dans ce livre, il nous dit qu’il est d’une extrême importance de comprendre les principes et l’état d’esprit du Taiji Quan avant de se lancer dans la pratique.

Comprendre précède et accompagne la mise en application des principes. Les principes Dao li 道理 suivent le Dao et conduisent à l’état naturel Zi Ran 自然et non à des complications artificielles non utilisables et bien éloignées du « bon sens naturel ».

Ainsi de nombreuses pratiques sont trop souvent guidées par des raisonnements intellectuels et affectifs qui certes singularisent un groupement, une école, un style, mais également les coupent de la rencontre avec d’autres approches qui pourrait les remettre en question. Pourtant l’essence du Taiji Quan est martiale et la confrontation y est nécessaire pour augmenter son niveau.

Qu’entendons-nous par « martialité » ?

La vie est automatiquement liée à la survie corporelle et au maintien de sa santé en vue d’assurer la meilleure fonction dans l’environnement dans lequel on se trouve, question d’adaptation. Le corps est ainsi pourvu de défenses naturelles qui s’adaptent en permanence aux échanges internes-externes et fait en sorte de trier ce qui est constructif de ce qui ne l’est pas. Il y a donc admission, tri et rejet des éléments non désirables. Lorsque les processus d’organisation physiologique sont à l’œuvre, l’état de santé le prouve et l’authentifie. Il n’est nul besoin de diplôme pour prouver la compétence du corps, le résultat parlant de fait.

En ce qui concerne les facultés martiales, ce sont les acquisitions des apprentissages et des expérimentations liées à la discipline qui font qu’il y a ou non adéquation avec la situation martiale demandée. Ce n’est pas le discours théorique qui s’exprime alors mais l’intégration des fondamentaux qui va se mettre en service pour une circonstance donnée.

La martialité ne dépend pas de l’âge, c’est une attitude du « faire face », qualité première du guerrier ou de « l’homme vivant ».

Martialité et Taiji Quan

Comment, qu’elle que soit son âge et sa force physique brute, peut-on appréhender les compétences martiales du Taiji Quan ?

C’est tout simplement rechercher le vrai et non l’artificiel, c’est cela qui devrait se trouver au cœur de cette quête allant bien au-delà d’une quelconque activité physique.

C’est une voie de l’authenticité où la personne peut se regarder en toute conscience en face sans frémir, sans honte et avec beaucoup d’humilité et d’humanisme.

La martialité ne se trouve pas dans la recherche de devenir le plus fort sur un combat mais dans celle de se construire pour mieux fonctionner et remplir dignement sa vie, et ce jusqu’à la fin.

L’essence martiale du Taiji Quan est fondamentale car elle empêche les dérives sectaires liées à des manipulations mentales qui amènent les adeptes à croire des phénomènes illusoires tels que de faire tomber des personnes sans les toucher.

L’essence martiale du Taiji Quan tient sur 4 qualités : Zhan 粘, Nian 黏, Lian 联, Sui 随

Les deux premières concernent la faculté de coller et adhérer à l’autre, condition sinequanone pour développer les compétences martiales du Taiji Quan qui opèrent surtout en combat rapproché. Or ces qualités ne peuvent apparaître qu’après de nombreuses années d’entraînement Lian Gong 练功 dont Chen Xin, cité plus haut, nous relate qu’il faut au moins 10 ans (tous les jours pendant des heures) guidé par un bon maître. Beaucoup de gens se reposent sur les notions de temps pour se rassurer d’un long cheminement et d’une grande expérience. Combien de fois par semaine et combien d’heures consacrez-vous à cette discipline ? Qu’elle est votre qualité d’attention et de compréhension pendant vos entraînements ? Questions à prendre en considération avant de parler « d’années de pratique » ne signifiant pas souvent grand-chose.

Le passé ne sert à rien s’il ne peut être actualisé en toutes circonstances. Avoir été champion s’avère inutile si vous ne pouvez même plus vous déplacer maintenant !

Les fondamentaux du Taiji Quan

Les Jiben Gong 基本功, sont des exercices que l’on effectue en boucle et que l’on répète de 5 minutes à 1 heure pour chaque mouvement. Ils nous amènent peu à peu à développer et renforcer notre axe vertical Taiji, à ouvrir et étirer sans se crisper (Fang Song 放) les chaînes tendino-musculaires, afin de gagner en élasticité Tan Xin 弹性et en capacité de faire vibrer le corps Tan Dou Jin 弹抖劲. Ils développent la force d’expansion Peng Jin 掤et celle  d’enrouler la force en la spiralant Chansi Jin缠丝劲.

L’état de relâchement, Fang Song, intègre l’ouverture des articulations, leurs extensions et leurs connexions pour favoriser la communication intelligente entre toutes les parties Jie Jie Guang Tong节节贯通. C’est un état qui est à la source du dynamisme interne prêt à se propulser et jaillir vers l’extérieur par ce que l’on appelle des Fa Jin 发劲. C’est également un état qui permet de parler de force intégrale Zheng Jin 整劲, de structure intégrale, complète Zheng Ti整体.

Les fondamentaux ou le travail des bases, Jiben Gong, Nei Gong 内功 transforment peu à peu la qualité des tissus organiques, la circulation du Qi 氣 et du sang Xue血 ; ce qui d’une part apporte un état de grande santé ainsi que des capacités bien supérieures au renforcement musculaire classique, lequel dépense énormément d’énergie pour un rendement faible et s’étiole rapidement avec l’âge.

Pédagogie d’enseignement selon maître Ding Dahong (extrait du livre «  Taiji Quan, les fondements culturels » écrit par l’auteur de cet article aux éditions Famedia)

Maitre DING s’intéresse et étudie la culture traditionnelle chinoise depuis son plus jeune âge. Ainsi il fait aussi des recherches sur la profondeur de la culture du Taiji, dans la théorie et dans la mise en pratique. A travers ses recherches et son expérience, il développe sa propre méthode d’enseignement (Yi Nian 意念), rigoureuse et complète. C’est à partir d’un apprentissage global, qu’il donne peu à peu des clés uniques à chacun, en fonction des rythmes de chacun. Il n’enseigne pas de façon uniforme à un groupe mais s’adresse avant tout à l’individu avec une méthode particulière adaptée à chaque élève, en s’employant à lui faire comprendre la philosophie de cet art, les principes qui le gouvernent et en respectant les différentes étapes de la progression propre à l’élève. Il suit un processus qui facilite l’entrée vers l’état précieux propre au « naturel, spontané, Zi Ran 自然» (recherché dans la tradition Taoïste) et enseigne de ce fait des idées originales pleines de significations. Il met l’accent sur l’utilisation intégrale du Yi 意 (l’intention remplie de sens, la conscience créative) qui dirige l’élève et lui permet aussi d’intégrer et de recevoir ce Yi dans tout l’organisme, facilitant naturellement l’état de « relâchement Fang Song 放松 », permettant de découvrir la taille comme un axe-pivot qui entraîne l’ensemble dans tous les changements, reliant et connectant chaque articulation. L’élève apprend à utiliser encore le Yi pour faire circuler le Qi 氣, le Nei Qi 内氣ou Qi interne qui pénètre partout et sans entraves. Tout cela produit dans la forme un grand déploiement, une grande ouverture et un goût délicieux.

A partir de cette base d’extension, on pourra développer la force d’expansion appelée Peng 掤 (dans la tradition du Taiji Quan) qui oriente et ordonne le corps, sans coupure, de l’intérieur vers l’extérieur. En suivant ce processus, chaque partie se relâche et commence à devenir vivante, le Nei Qi se propage et on peut alors rajouter l’entraînement de « l’enroulé de la soie, Changsi Jin 缠丝经 ». L’enroulé de la soie suit la force d’expansion Peng, il ne faut surtout pas perdre Peng Jin掤劲pour développer les qualités propres à spiraler l’ensemble du corps. Le respect de ces principes va faciliter l’apprentissage de l’art des poussées de mains Tui Shou 推手, améliorer notre santé et permettre d’acquérir des capacités martiales.

De nos jours la pratique du Taiji Quan attire de nombreuses personnes en recherche d’un meilleur état d’être. La médecine actuelle reconnaît les bienfaits d’une telle pratique, sans pour autant comprendre les pourquois et toutes les implications que cela demanderait. C’est plutôt un public d’âge mûr qui fréquente les cours de Taiji Quan en France et dans le monde.

Pour cette catégorie de personnes, il sera intéressant de rééduquer les postures, la tenue du dos, mobiliser la taille et les épaules, améliorer l’équilibre et la stabilité, détendre et fluidifier la gestuelle. Il y aura également un bon travail de coordination des membres supérieurs et un renforcement des membres inférieurs ainsi qu’un travail de mémorisation propre à diminuer les facteurs de dégénérescence des systèmes neurologiques.

Il est également temps de réhabiliter la fonction martiale du Taiji Quan qui tient automatiquement compte de la santé des pratiquants. L’apprentissage de l’art martial interne ne peut être conforme à celui des voies externes. Entre des personnes ayant des différences de niveaux de pratique bien éloignées, le résultat pourra apparaître comme s’il n’y avait pas beaucoup de force émise pour un rendement optimum. Cela pourra même sembler être faux vu de l’extérieur, comme si le partenaire était de connivence avec le maître. Sans contact physique avec le maître, il est impossible de s’en rendre compte et de comprendre. Sans la vision extrêmement pénétrante de l’enseignant, il sera difficile de percer les secrets d’un tel art aux richesses insoupçonnées.

Jean Jacques Galinier

Groupement Fa Taiji

Taiji Quan traditionnel style Yang, Chen

Qi Gong, Dao Yin et Nei Gong

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